L’agilité, plus qu’un mot à la mode, est devenue à présent une nécessité absolue pour les entreprises. Se pourrait-il qu’un mode d’organisation puisse permettre de gagner en agilité et donc en compétitivité ? C’est dans cette optique que je suis allé à une réunion d’information sur l’holacratie dont je vous livre le contenu et mon ressenti.
Constats et problématique
3 constats
Depuis une quarantaine d’années, on a pu voir l’émergence de 3 phénomènes impactant les entreprises.
- Environnement VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity): les entreprises sont confrontées à des environnements de plus en plus instables. Les marchés économiques, les réglementations, les évolutions technologiques rendent difficiles toute visibilité à long terme et obligent ainsi les entreprises à réagir rapidement à toute modification de leur environnement.
- Modèle à bout de souffle : si les organisations hiérarchiques semblent dépassées, les organisations matricielles montrent aussi leurs limites. Combien de projets abandonnés ou n’atteignant pas leurs objectifs ?
- Besoin des individus : les générations Y et Z n’envisagent plus le travail comme les générations précédentes. Le besoin de sens, d’autonomie et de moins de hiérarchie sont des éléments essentiels pour eux.
Quelles conséquences sur les organisations ?
Les conséquences sur les entreprises sont nombreuses, j’en noterai deux principales :
- Une inadaptation permanente des organisations.
Il n’est pas rare de voir des entreprises commencer une nouvelle organisation alors même que la dernière réorganisation n’était pas encore terminée. - Désengagement des équipes et RPS
Qui n’a pas entendu parler de Burn-out, de brown-out ou encore de bore-out ?
Des solutions depuis 40 ans
Ces constats ne sont pas nouveaux et de nombreuses solutions ont été cherchées et mises en place dans les organisations :
- Dans un premier temps sur des approches basées sur les processus, les procédures et les bonnes pratiques.
- Actuellement, de plus en plus d’entreprises se rendent compte que les processus seuls ne suffisent pas. Il apparaît de plus en plus évident, comme nous le prônons chez FdF, qu’il faut remettre de l’humain au cœur des organisations. Il s’agit alors de mettre l’accent sur des approches basées sur les comportements et les savoir-être.
Pour faire face à ce besoin croissant d’agilité, certaines entreprises tentent des approches encore plus radicales avec des organisations plates, « libérées » ou encore, ce qui nous intéresse dans cet article : l’holacratie.
Qu’est-ce que l’holacratie ?
Si on s’en tient à la définition, l’holacratie est un système d’organisation de la gouvernance des entreprises qui se fonde sur la mise en œuvre formalisée de l’intelligence collective.
Largement inspirée de l’holarchie (organisation tirée d’un livre de A. Koestler), elle a été initialement développée par Brian Robertson au sein de son entreprise de développement de logiciels à partir de 2001, jusqu’à la publication de la démarche en 2010.
Dans une entreprise hiérarchique classique, les décisions stratégiques sont prises au niveau du top management. Retranscrites pour chaque niveau de management (opérationnel et/ou fonctionnel), elles ruissellent pour finalement arriver jusqu’aux exécutants. Le niveau de décision et d’information de ces derniers est donc réduit à ce qui est nécessaire pour l’exécution de leurs tâches.
Dans le cadre de l’holacratie, le processus de décision ne vient pas de la hiérarchie puisqu’elle n’existe plus en tant que telle. Les décisions sont donc prises par les salariés eux-mêmes ainsi que par des équipes auto-gérées.
4 piliers de l’holacratie
Pilier 1 : La « raison d’être » de l’organisation
Partagée par tous, il s’agit de son objectif profond, ce qu’apporte l’entreprise au monde. Une question permettant de la définir pourrait être : « si votre organisation disparaissait demain, que perdrait le monde ? »
Avec la perte de sens qui surgit un peu partout dans les entreprises, c’est une boussole qui indique le sens vers lequel toute action doit tendre. Elle permet donc d’organiser le travail dans l’intérêt de l’entreprise mais aussi dans le respect de chacun.
Pilier 2 : La liberté d’action
Chaque salarié est décisionnaire dans sa zone de compétence. Cette notion va ainsi à l’encontre de ce que l’on rencontre habituellement et peut être illustrée par cette maxime : « Tout ce qui n’est pas interdit, est autorisé ». C’est donc l’exact contraire de la fiche de poste où toutes les missions autorisées pour le salarié sont définies.
Pilier 3 : L’organisation par cercle/rôle
On peut voir les cercles comme les services d’une entreprise (comptabilité, commercial etc.).
Chaque cercle dispose d’une très grande autonomie (idéalement une totale autonomie) pour atteindre ses objectifs et doit produire des « redevabilités ».
Chaque personne au sein d’un cercle se voit affecter des rôles en fonction de ses compétences, ses aptitudes et ses potentiels. Un rôle permet de définir un cadre pour répondre à une raison d’être. Ils sont définis, supprimés et affectés au sein de réunions dites de gouvernance.
Un rôle, comme un cercle, est défini par sa raison d’être (son objectif), son périmètre ou domaine (optionnel) et ses « redevabilités ».
En holacratie, la séparation nette entre la personne et son/ses rôles est essentielle. On dit qu’une personne « énergise un rôle ». Chacun est responsable de lui-même. On ne fait pas « à la place ».
Pilier 4 : identification des tensions
Une tension peut être définie comme la différence entre ce qui est et ce qui pourrait ou devrait être.
Il s’agit de l’écart ressenti par un salarié dans un de ses rôles entre une situation vécue et une situation qui serait plus souhaitable dans le futur. Ce peut donc être un problème comme une opportunité.
Chaque membre se doit d’apporter les tensions ressenties dans chacun de ses rôles dans les instances prévues (Gouvernance ou Triage). La transparence est de mise et non problématique puisque chacun parle de tension entre des rôles et non plus des tensions entre des individus.
Deux types de réunions
La réunion de triage
La réunion de triage a pour but de se synchroniser dans l’action et de traiter les tensions opérationnelles. Elle a lieu debout et dure environ 15mn en tout.
Le suivi d’avancement doit être effectué de manière rapide et efficace.
Le déroulé d’une réunion de triage :
- Tour d’inclusion : chacun s’exprime sur ce qu’il ressent, dans quel état d’esprit il se trouve. Cela permet d’entrer réellement dans la réunion.
- Revue des actions
- Ordre du jour : liste des points opérationnels.
- Triage : traitement des points opérationnels
- Tour de clôture.
La réunion de gouvernance
La réunion de gouvernance a pour but de rendre l’organisation plus efficiente et de permettre une adaptation continue.
Une réunion de gouvernance se déroule de la manière suivante :
- Tour d’inclusion
- Point administratif
- Ordre du jour : liste des points organisationnels
- Triage : traitement des points organisationnels
- Proposition
- Clarification
- Réactions
- Proposition affinée
- Objections/intégration
- Tour de clôture.
Les bénéfices de l’holacratie
On peut voir certains bénéfices à un système d’organisation holacratique :
- Passer de l’implicite à l’explicite. Les organigrammes des systèmes actuels ne sont déjà plus à jour avant même qu’ils ne soient terminés. De plus, ils ne rendent pas compte de la complexité des processus de décision, ni des éventuelles problématiques de personnes liées à la politique, aux affinités, aux animosités etc.
La création/modification de rôles et l’ajout de redevabilités explicites doivent ainsi permettre de résoudre, ou tout du moins d’atténuer très fortement, ce problème récurrent au sein des organisations. - Sortir de la dualité « autorité descendante → consensus » par le biais du consentement.
Si on ne propose pas d’objection valide et argumentée, on doit alors accepter d’essayer une proposition. - Grande capacité d’adaptation grâce à l’efficience et la rapidité des prises de décisions. Les rôles, les cercles se créent et se suppriment selon les besoins et très rapidement.
- Sortir de la subordination : chacun fonctionne comme un vrai intrapreneur. Ce sont ceux qui font qui prennent les décisions, avec comme ligne de mire la « raison d’être » de l’entreprise, de son cercle, de son rôle.
Les inconvénients
J’y vois toutefois trois points de vigilance :
- L’holacratie est une organisation qui donne une très grande autonomie à tous les salariés. Si pour certains, la différenciation entre le rôle et la personne est très sécurisant, pour d’autres, cela peut amener un sentiment permanent d’insécurité. La suppression du « chef » implique que chacun récupère une part non négligeable de responsabilité. Même si on le critique souvent, laisser la responsabilité au manager peut être très rassurant.
- L’holacratie a pour corollaire la suppression des postes de managers. Quel rôle leur attribuer au sein de l’organisation ? La transition du modèle hiérarchique et/ou matriciel vers l’holacratie risque de provoquer des problèmes sociaux importants. Chez Zappos, société souvent citée comme exemple, le choix était simple, soit vous adoptiez ce système, soit vous quittiez l’entreprise.
- Le cadre organisationnel est très rigide, trop ? Cadrer aussi fortement les réunions, limiter les objections, ne serait-ce finalement pas un moyen de brider les énergies, notamment quand on a un profil qui a besoin d’un cadre souple ? Penser que tout le monde veut toujours arriver à un accord me semble utopique et risque d’être contreproductif.
Conclusion
L’holacratie est un mode d’organisation de l’entreprise qui permet de placer les individus au cœur du processus décisionnaire. La décision étant prise au niveau le plus à même de la prendre, il en découle donc une plus grande agilité de l’entreprise.
Ce système de management révolutionne l’organisation et la distribution des responsabilités au sein de l’entreprise. Son application demande un état d’esprit et une vigilance constante pour ne pas revenir à une pratique plus classique.
Est-ce que le risque en vaut vraiment la chandelle ? Mettre en œuvre des pratiques d’intelligence collective pourrait très bien apporter les mêmes bénéfices sans pour autant avoir à tout révolutionner. Un dernier point qui peut interpeler avec l’holacratie, la suppression de la notion de subordination. Étant donné qu’il s’agit de la base même du contrat de travail, pour pouvoir vraiment appliquer l’holacratie au sein des entreprises, ne faudrait-il pas revoir tout le Code du travail ?
Cependant, tout cela n’enlève rien au fait que des milliers d’entreprises à travers le monde ont sauté le pas et utilisent l’holacratie au quotidien.